Failles, Récit

Yanick Lahens

Sabine Wespieser Éditeur

  • Conseillé par
    2 janvier 2011

    Yanick Lahens est une écrivain et elle vit à Port-au-Prince. Suite au séisme, elle décide de rester, de porter secours selon ses moyens à qui le demande et surtout de continuer à écrire, au jour le jour, sur les Haïtiens, sur Haïti. Elle ne fait l'impasse sur rien et se pose même les questions les plus importantes : "pourquoi nous les Haïtiens ? Encore nous, toujours nous ? Comme si nous étions au monde pour mesurer les limites humaines, celles face à la pauvreté, face à la souffrance, et tenir par une extraordinaire capacité à résister et à retourner les épreuves en énergie vitale, en créativité lumineuse. (p.68) Sans rien éluder, elle scrute les différences entre les Haïtiens, partagés en deux, les Créoles, "ceux qui ont" et les Bossales, "ceux qui n'ont pas". Pourquoi, ce petit pays, la première colonie à avoir été indépendante ne réussit pas à vivre, tout simplement, mais use toute son énergie à survivre ? Yanick Lahens passe en revue, la politique, l'économie, les associations qui aident les sinistrés, mais qui les rendent également dépendants de leur aide : "Autant dire que nous sommes devenus à la longue des camés, dépendants d'une cocaïne, d'un crack qui s'appelle l'aide internationale. La reconstruction, la vraie, supposerait un accompagnement de qualité venu d'ailleurs (car nous avons besoin d'aide) mais précisément pour une cure de désintoxication qui passerait par les affres du sevrage avant le long chemin vers la dignité. On en est encore loin" (p.150)

    Pas de misérabilisme, juste un constat : aidons les Haïtiens à vivre, à s'en sortir eux-mêmes ! Loin des discours habituels, Yanick Lahens insuffle une bonne dose d'optimisme et "une formidable force de vie." (4ème de couverture)

    Pour conclure, une dernière citation de l'auteure -j'en ai déjà fait beaucoup, mais j'aurais presque pu citer tout le texte ! -qui résume la démarche d'écriture de ce livre : "Le 12 janvier, le temps s'est figé, chaque seconde lestée. Nous étions sans passé, sans avenir. Dans l'unique sidération de l'instant. Plombés dans un présent étroit et noir.

    Toutes ces pages en deux mois et demi pour dire. Les mots sont sortis comme des éclats d'un corps. Certains projectiles m'avaient atteinte bien avant le 12 janvier et s'étaient ce jour-là seulement enfoncés plus profondément dans ma chair. J'en ai presque perdu le souffle et le sommeil, mais j'ai avancé. Je devais le faire. En dépit de mes propres failles Au bout du compte, me suis-je mise en danger ou en représentation, ou les deux ? Je ne sais pas." (p.143)

    PS : Yanick Lahens est venue près de chez moi, à Nantes, pour poser la première pierre du futur mémorial de la traite des noirs et de l'esclavage. "Dans une ville par laquelle a transité [...] la moitié des bateaux négriers en route vers l'Amérique. Douze années de lutte de la municipalité pour remplir ce devoir de mémoire. Chapeau ! Pour moi, grande émotion sur le quai de la Fosse. Très grande émotion." (p144)