Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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24 mai 2013

En général, je suis emballé par les livres de Tanguy Viel. Il a l'art de m'intéresser à une histoire banale, par la subtilité de son écriture, ses longues phrases, ses personnages mis pourtant dans des situations déjà lues ou vues. Son dernier roman est encore mieux : il utilise les mêmes bases, mais en plus il décortique le roman américain, intervient sans cesse en tant qu'écrivain pour dire ce qu'il pourrait faire. De fait, on a à faire à un écrivain qui nous raconte comment il construit son roman. Il absorbe toutes les règles pour fabriquer un roman international, car il faut bien le dire, nombre de romans états-uniens sont calibrés, pré-construits, les rebondissements arrivant à tel et tel chapitres, la minute sentimentale itou... un peu comme les films du même pays, ou comme le camembert d'une grande marque (mais français, l'honneur est sauf) : surtout ne pas déstabiliser le client, lui apporter toujours la même chose, le même plaisir, le garder, le guider. Personnellement, je n'aime pas cela, je vois peu de films hollywwodiens, lis peu de -gros- livres états-uniens et mange du camembert au lait cru, moulé à la louche : j'aime qu'on me surprenne.

Tanguy Viel écrit son roman américain finalement très français (et tant mieux, le contraire m'eût sans doute moins plu) parce qu'il explique toute la méthode, tous les clichés et les stéréotypes du genre, sans critiquer : il constate. Il explique la différence entre un roman français et un roman états-unien :

"Je ne dis pas que tous les romans internationaux sont des romans américains. Je dis seulement que jamais dans un roman international, le personnage principal n'habiterait au pied de la cathédrale de Chartres. Je ne dis pas non plus que j'ai pensé placer un personnage dans la ville de Chartres mais en France, il faut bien dire, on a cet inconvénient d'avoir des cathédrales à peu près dans toutes les villes, avec des rues pavées autour qui détruisent la dimension internationale des lieux et empêchent de s'élever à une vision mondiale de l'humanité. Là-dessus, les Américains ont un avantage troublant sur nous : même quand ils placent l'action dans le Kentucky, au milieu des élevages de poulets et de des champs de maïs, ils parviennent à faire un roman international" (p.10)

Et T. Viel de raconter la vie de ses personnages, Dwayne qui épie son ex-femme qui vit désormais avec l'un de ses ex-collègues prof de l'université, celui qu'il détestait, qui ne voit plus ses enfants, qui va pour tenter de reconquérir sa femme se compromettre. Il passe aussi rapidement sur les traumatismes de cet ex-du Viet-Nam (il a bien failli y aller à un jour près), sur la désormais inévitable dans les romans guerre d'Irak et l'encore moins évitable 11 septembre 2001. On avance dans son roman, on suit Dwayne et les autres personnages, on comprend toute son histoire et on s'y intéresse et dans le même temps, l'auteur intervient et nous dit ce qu'il aurait pu écrire ici ou là pour faire un vrai roman américain, il le dit à ses lecteurs en quelques lignes, dans ses phrases toujours aussi longues et belles là où un romancier états-unien prendrait un ou deux chapitres par idée évoquée ; cela se ressent sur le poids du livre, rarement moins de 400 voire 500 pages pour un roman international et 153 pages pour Tanguy Viel que je ne remercierai jamais assez pour sa concision alors qu'il ne passe aucun thème récurrent du roman américain. A propos de concision, je vais peut-être stopper là moi aussi en précisant que ni Tanguy Viel (si je l'ai bien compris) ni moi n'avons rien contre le roman international, contre les auteurs états-uniens en général, c'est un genre qui plaît, à juste titre, même s'il n'est pas celui que je lis le plus couramment. Personnellement, je préfère et de très très loin LE roman américain de Tanguy Viel qui une fois de plus aura su me passionner, me surprendre et me captiver avec une histoire et des personnages loin d'être originaux. Du très bon travail, un roman excellent, n'ayons pas peur des mots. Tout ce que j'aime est dedans.

Conseillé par
24 mai 2013

Jusque là je n'avais pas encore lu Mathias Énard, ce qui est bien fait pour moi. Je ne sais pas pourquoi je n'avais pas osé ouvrir un de ses livres, parce que la surprise fut bonne, excellente même. Ce tout petit roman est certes court mais intense. Si les questionnements ne sont pas nouveaux : la mort, l'amitié, l'amour, l'alcool, la drogue, le début de la vie d'adulte, les tourments de jeunes gens mal dans leur peau, dans leur vie et dans la société, ... la manière de les mettre en page est tout simplement magistrale. Une écriture belle, de longues phrases qui peuvent tour à tour être lentes lorsqu'elles décrivent les superbes -ou très moches- paysages russes et leur histoire :"J'irais bien sur le Bosphore après une croisière sur la Volga, descendre le fleuve jusqu'à Astrakhan au nord de la mer Noire, puis me laisser glisser doucement vers Istanbul, on verrait Kazan et Stalingrad, deux batailles russes ; on verrait l'île où s'installa Ivan le Terrible avant de prendre Kazan et de mettre fin au khanat héritier de la Horde d'or, terminée la domination mongole en Russie, place à l'encens, aux moines et aux popes barbus." (p.44) ou rapides lorsque le narrateur parle de ses affres de ses doutes et de ses douleurs : "... j'avais vingt ans quand j'ai lu ce livre Vlad, vingt ans et j'ai été pris d'une énergie extraordinaire, d'une énergie fulgurante qui a explosé dans une étoile de tristesse, parce que j'ai su que je n'arriverais jamais à écrire comme cela, je n'étais pas assez fou, ou pas assez ivre, ou pas assez drogué, alors j'ai cherché dans tout cela, dans la folie, dans l'alcool, dans les stupéfiants, plus tard dans la Russie qui est une drogue et un alcool j'ai cherché la violence qui manquait à mes mots Vlad, dans notre amitié démesurée, dans mes sentiments pour Jeanne, dans la passion pour Jeanne qui s'échappait dans tes bras..." (p.42)

M. Énard parle formidablement bien du sentiment amoureux, de l'amitié, de la jalousie du manque d'une personne aimée. S'y ajoute la défonce, drogue et alcool, nécessaire pour ces jeunes gens pour surmonter leur difficulté à vivre tout simplement. Et les petits -ou gros- plus ce sont d'une part les paysages russes enneigés, pas toujours très beaux, certains étant de simples vestiges de l'époque communiste, blocs de béton abandonnées, murs de goulags, d'autre part les pans d'histoire de ce pays qu'il insère entre deux descriptions, entre deux questionnements des héros et enfin, les souvenirs de lecture des grands écrivains russes, eux qui ont su donner de leur pays une image forte et ont su écrire sur la fameuse âme slave.

Eh bien que me reste-t-il à dire ? Que je relirai très certainement M. Énard qui m'a enchanté dans ce récit très nostalgique et mélancolique, que j'espère que le plaisir sera de nouveau au rendez-vous de ma prochaine lecture.

Editions Toucan

17,90
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24 mai 2013

Karena Rose reprend le texte de Charlotte Brönte (traduit par Madame Lesbazeilles Souvestre), coupe des passages ici où là, jugés par elle sans doute trop longs ou inutiles et y glisse ses propres mots, des scènes de sexe très claires mais point trop chaudes. Je ne connais pas Jane Eyre, ne l'ai jamais lu ni vu malgré les multiples adaptations cinématographiques et ne suis pas très tenté. Lorsque j'ai reçu ce livre par l'attaché de presse, je me suis d'abord dit que je ne le lirai pas, puis piqué par la curiosité (et sans doute alléché pas la future lecture de scènes osées) j'ai franchi le pas.

Je ne peux pas dire que je me suis ennuyé, certes non, mais je ne vois pas trop l'intérêt de réécrire un classique de la littérature en y ajoutant des scènes sexuelles. Sans doute dans l'oeuvre originale y-a-t-il de la sensualité, une tension sexuelle palpable, mais ce qui est suggéré est souvent plus fort que ce qui est décrit. A part surfer sur la vague du "porno soft" (ce dont l'éditeur ne se cache d'ailleurs pas dans le dossier de presse : "Jane Eyrotica une version en corset des débordements sexuels de Cinquante Nuances de Grey"), je ne vois pas l'intérêt d'un tel travail. Dès lors pourquoi pas Les trois Mousse-queue-taires en version érotique (dans les quatre, on doit bien pouvoir faire un couple gay, ce serait pile dans l'air du temps. Pas D'Artagnan, il est pris avec Constance ! Ou alors, il est bi.), ou Porn-Dame de Paris, avec Esmeralda en amoureuse un brin nympho et Quasimodo en queutard fini ? Pouf, pouf, désolé, je m'emporte un peu, mais au fond, peut-être n'est-ce pas si sot, une belle et nouvelle façon de lire et faire lire les classiques, parfois rébarbatifs. A quand l'étude au lycée de Les fleurs du mâle (ou L'effleure du mâle) et au collège de Le capitaine Fracasse (même pas besoin d'adapter le titre, merci Théophile Gautier) ? Ici, chacun pourra à sa guise ajouter les titres de ses classiques préférés à la sauce -si je puis me permettre- érotique.

Ne connaissant pas Jane Eye, l'oeuvre originelle, je ne sais pas si elle est beaucoup transformée ou pas, elle doit l'être un peu dans l'âge de l'héroïne puisque dans le livre de C. Brönte elle arrive à l'orphelinat à 10 ans (je me suis un peu renseigné quand même) et que dans celui de K. Rose, elle a seize ans et a déjà eu des relations sexuelles avec son cousin. Elle doit l'être aussi dans le fond de l'histoire car je ne suis pas sûr qu'à l'époque, coucher avec son cousin, avec le jardinier (sauf peut-être Lady Chaterley) ou avec un encore-inconnu était preuve d'une bonne éducation. J'ai quand même l'impression que la nouvelle version remplace aisément la sensualité et le désir en passages à l'actes faciles, ce qui enlève du charme des (longs, parfois très longs) préliminaires à l'amour du XIXe. Et puis, pour enfoncer le clou, les scènes chaudes (pas si nombreuses qu'espéré, que cela) si elles sont plus explicites que celles des nuances de Grey (ce que j'ai pu en lire dans la presse ou ailleurs me faisait mal de pauvreté de style, d'invention littéraire et de platitude) ne sont pas non plus à absolument ne pas mettre entre toutes les mains, cependant vous aurez soin d'éviter celles, innocentes des petits.

traduit de l'anglais (Ecosse) par Stéphane Carn et Catherine Cheval

Fayard

20,00
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24 mai 2013

Excellent roman policier atypique. Atypique parce qu'il ne se focalise pas sur une seule personne ni sur une seule enquête. C'est la vie quotidienne de l'unité d'intervention dirigée par Anna, la Flexi et la vie quotidienne des gens qui y travaillent. Le fil rouge est bien sûr les agressions envers les prostituées, l'intrigue qui file tout au long du livre et qui prend une grande partie du temps des intervenants. Mais il y a aussi la rencontre d'Anna avec Ezra, un vieil homme attachant qui se fera tuer et dépouiller, une manifestation d'orangistes (Irlandais protestants) en plein coeur de Glasgow. Néanmoins, la part belle est faite aux relations entre les personnages : l'ambiguïté entre Anna et Jamie, son ex-petit ami, l'animosité entre Anna et Jenny, la policière sous ses ordres, réticente à toute remarque venant d'elle, ...

Karen Campbell s'intéresse à tous ses personnages, même les seconds rôles, comme Billy Wong, le jeune flic d'origine asiatique, dont on aimerait bien qu'il intègre son équipe. Elle développe plus les caractères d'Anna, de Jamie et de Cath, sa femme et de quelques autres. On sait presque tout de la pauvreté sentimentale d'Anna, du couple de Jamie et Cath qui part en vrille après la naissance de leur fille et des interactions du travail sur la vie privée et inversement. Elle ne tente pas de nous rendre tel ou tel sympathique, elle n'omet pas ses défauts, comme la tendance à l'emportement d'Anna ou son égoïsme, ou la déprime de Cath, son laisser-aller, ...

On est à la fois en plein coeur du commissariat et en plein coeur des vies des flics, et c'est une très bonne nouvelle, ça fait de ce roman plus qu'un roman policier parmi d'autres. Je n'ai rien contre le genre policier, mais il arrive parfois qu'on tombe sur un livre de ce style qui ne laisse place qu'à l'intrigue au mépris des personnages ou d'une certaine réalité. Pourquoi pas, il en faut pour tous les goûts, et si c'est bien fait, je ne dis pas non a priori. Là, on est en plein réalisme, en plein dans les quartiers chauds de Glasgow avec les descriptions des lieux, parfois sordides, des gens qui y vivent dans la misère, des gens qui y travaillent, des camés, des dealers, des prostituées, ... Le langage adopté sonne juste également, entre familiarités, argot, langage un peu plus soutenu pour d'autres scènes, l'auteure joue avec les différents registres. Le fait qu'elle écrive autant sur ses personnages pourrait me faire dire qu'on est dans un polar social, sociétal ou dans un roman plus classique avec une intrigue policière en toile de fond. Un peu comme dans Furioso, un livre que j'avais beaucoup aimé pour les mêmes raisons, ou comme dans certains polars nordiques dans lesquels les personnages ont une vraie importance, presqu'une vraie vie, mais les horreurs des meurtres en moins, car là, Karen Campbell nous évite le serial killer, l'hémoglobine et les descriptions détaillées des victimes. On pourrait résumer son livre ainsi : de l'humain, beaucoup d'humain et une grosse pointe de policier pour lier le tout, ou vice-versa, mais avec toujours beaucoup d'humanité.

Karen Campbell est une ancienne flic qui écrit là son premier roman débutant ainsi une série selon l'éditeur, que je suivrai très très volontiers. Vivement la suite.

Le livre débute comme ceci (mis à part un mini prologue) : "C'était le temps idéal pour ça. Le vent avait retourné le ciel comme un gant et, par là-dessus, une petite averse avait fini de tout nettoyer. La journée s'annonçait belle.

A toi de jouer ! Anna aurait pu voir son sourire se refléter dans ses chaussures qui slalomaient entre les flaques. Quel éclat... Elle était si absorbée qu'elle ne vit rien venir. La fanfare stridente d'un klaxon à l'italienne la força à regagner précipitamment le trottoir. Le conducteur, presque couché dans sa Sinclair C5, secoua la tête et passa en trombe." (p.13)

novella

Atelier in8

8,00
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24 mai 2013

Avant que la réalité ne se rapproche voire colle à cette fiction, il vaut mieux en rire, jaune certes, mais en rire. Lorsqu'on sait que la révolte naît dans le Béarn, des centristes, c'est que la France va vraiment très très mal. Mais comment pourrait-elle aller bien, Madame la Présidente a rogné sur la culture, contrôle tout, oblige les agents municipaux tels Théo à repeindre les toilettes publiques mais aussi à monter des cloisons séparant les lieux d'aisance en quatre : deux places pour les hommes, deux places pour les femmes et à l'intérieur de chaque emplacement réservé, une place pour les Français(e)s et une pour les Étranger(ère)s ?

Théo, qui après sa rencontre avec Janine a l'espoir de voir son poème publié déchante lorsque lors de la seconde rencontre, on lui dit que deux mots gênent les hautes autorités, deux mots qui en eux-mêmes sont acceptables, mais point accolés, cela "pourrait déplaire" (p.9) ; ces deux mots : "juif sympathique" (p.8). Déçu et appelé sous les drapeaux (car le service militaire est rétabli) Théo pense rejoindre les Poètes en Résistance groupe qui lutte de Pau contre le pouvoir en place, assez mollement il faut bien l'avouer.

"-Soit tu rentres dans le rang et tu effectues cette connerie de service militaire et l'obscurantisme du pouvoir. Soit tu passes à l'opposition et tu ne tombes pas mal car les Poètes en Résistance m'ont informé que trois fronts préparent en France la future révolution. L'un des foyers de la révolte est situé à Pau, autour de François Bayrou.

- Vous me faites marcher ?

- Pas du tout. Rama Yade y dirige même un corps d'infirmières." (p.33)

Mais alors où sont les autres ? Eh bien, ils s'arrangent avec le pouvoir actuel, comme par exemple cet élu écologiste, qui depuis le rétablissement de la peine de mort et l'édification d'un échafaud, place de la République a obtenu de repeindre cet objet funeste en vert.

Très court texte qui ravira les amateurs d'ironie, de dérision et d'uchronie (qui restera toujours uchronie espérons-le). Le déferlement de haine, de violence, la descente dans les rues des intégristes de tout poil (sauf sur le caillou pour certains) pour casser de l'homo et du flic (et doublement du flic homo) au moment du texte sur le mariage pour tous, que les élus et les responsables des partis politiques opposés à ce texte ne condamnent pas fortement et fermement, -certains d'entre eux se laissant même aller à des actes de violence au sein même de l'Assemblée, légitimant ainsi la violence dans les rues- ne m'incite pas vraiment à l'optimisme quant à une éventuelle rebellion de leur part contre l'extrême droite si -ou lorsque- elle aura plus d'ampleur et de pouvoir que maintenant.

Une lecture saine qui peut faire réfléchir, parue dans la collection Social Fiction des toujours excellentes Éditions IN8 : de la Science Fiction Sociale.